Après Rio et Tokyo, Nicolas-Guy Turbide revient sur ses Jeux de Paris 2024.
12.11.24
Avec beaucoup de générosité et de discipline, il s’est hissé au sommet de son sport : nageur paralympique canadien atteint d’albinisme, il est double médaillé paralympique, champion des Jeux du Commonwealth, triple champion des Jeux parapanaméricains et médaillé d’argent mondial au 100 m dos.
Après Rio et Tokyo, ce sont aux Jeux Paralympiques de Paris que Nicolas a continué d’écrire son histoire, avec la même détermination et la volonté de repousser ses limites sur la scène internationale.
Dans cette interview, il nous partage sa perception unique de la performance sportive. Il nous plonge dans sa vision du sport, où chaque compétition est une occasion de se dépasser et d’apprendre, au-delà du simple résultat. Il aborde la manière dont il gère la pression, la quête constante de l’amélioration, et le rôle fondamental de l’état d’esprit dans l’atteinte des objectifs.
Salut Nic, comment vas-tu ? Comment as-tu vécu l’ambiance de Paris 2024 ? Ecoute, l’ambiance à Paris ça n’avait rien à voir avec les Jeux de Tokyo où il n’y avait aucun supporter ou même avec les Jeux de Rio en 2016. Pour moi ça a été les Jeux les plus agréables en tant qu’athlète grâce aux bénévoles, au public, aux Français, et aussi par les installations, les villages, les compétitions, la nourriture. C’étaient des Jeux parfaits !
Quelles ont été les principales différences par rapport à tes précédentes participations aux Jeux paralympiques ? Le fait d’avoir des spectateurs et d’avoir les membres de sa famille : mes parents, ma grand-mère, mes tantes, mes cousins, mes amis et beaux-parents sont venus à Paris. Partager ce moment-là avec eux, en tant qu’athlète c’est la chose dont on rêve. Communier tous ensemble avec cette ambiance complément disjonctée, une belle organisation, ça fait des jeux vraiment mémorables !
Y a-t-il un moment particulier qui t’a marqué pendant ces Jeux, que ce soit au bord du bassin ou en dehors de la piscine ? A chaque fois qu’il y avait un athlète français qui montait sur les blocs de départ, on sentait l’ambiance, on sentait l’atmosphère même du côté des athlètes : nous on était à l’arrière des estrades pour la majorité des courses, non seulement ça nous donnait une certaine adrénaline, mais ça nous donnait envie de montrer ce qu’on était capable de faire aussi. Vraiment l’ambiance qui sortait de ces Jeux-là, avec des stades complément remplis pendant la durée des Jeux Paralympiques, on n’avait jamais vu ça. C’était magique..
Qu’est-ce qui a été le plus difficile dans ton entraînement pour Paris 2024 ? Pour moi mon grand défi depuis plusieurs années c’est d’apprendre à gérer mon corps avec plusieurs blessures. Ma spécialité avant c’était le 100m dos. Cela a tout le temps était mon épreuve de prédilection et puis au cours des dernières années, j’ai dû faire le choix de laisser cette épreuve de côté parce que j’avais trop d’aspects négatifs qui venaient avec ça au quotidien : beaucoup de blessures au bas du dos, beaucoup de douleurs musculaires. Donc j’ai fait une transition vers le 50m nage libre qui est une épreuve que l’on entraine différemment du 100m dos. Apprendre à appréhender mon corps était un bon défi.
« when in doubt, rest » donc quand on se questionne, on se repose«
Quel a été ton plus grand défi à relever durant cette compétition ? Durant la compétition c’était le maintien de l’intégrité de mon corps : m’assurer que je reste en santé. En tant qu’athlète on veut souvent en faire plus que pas assez et moi c’étaient mes mots clés avant la compétition : « when in doubt, rest » donc « quand on se questionne, on se repose ».
Tu as accompli de nombreuses performances exceptionnelles tout au long de ta carrière. Es-tu satisfait de tes résultats à Paris ? Y a-t-il un aspect de ta performance que tu aimerais améliorer ? Est-ce que je suis satisfait de mes résultats à Paris ? Pas compétemment. En même temps c’est un 50m nage libre donc la marge d’erreur est tellement minime que ça peut juste être une moins bonne journée et puis c’est ce qui change la totalité de la performance. Je sais où étaient mes failles : mon premier 15m de mon 50m c’est la zone qu’il faut que je travaille dans le futur. J’ai essayé de le travailler au cours de l’année, je l’ai beaucoup amélioré mais je ne suis pas encore au niveau où je voulais être pour les Jeux de Paris. En revanche, je reviens à la maison avec la tête haute et sans aucun regret dans ma préparation !
« J’ai tout le temps utilisé le stress comme un catalyseur de performance. »
Comment gères-tu la pression d’une telle compétition internationale ? As-tu des routines ou des stratégies pour rester concentré le matin d’une compétition ? Moi la gestion du stress dans les compétitions ça toujours été ma force. J’ai tout le temps utilisé le stress comme un catalyseur de performance. Pour moi si je n’ai pas de stress ou s’il n’y a pas d’enjeux, ma performance n’est pas au niveau que je le souhaite. Donc moi j’essaie de me rendre dans une zone où je suis plus stressé, plus anxieux et j’utilise le stress à mon avantage parce que ça augmente mes pulsations cardiaques, ça me permet de rester concentré sur ce que je dois faire.
Peux-tu nous donner un aperçu de ta préparation physique pour ces Jeux paralympiques ? Comment as-tu structuré ton entraînement au quotidien ? Pour le 50m libre, j’ai réduit grandement le volume que je faisais en piscine : donc j’avais tendance à faire environ 5.000 à 6.000m par entraînement à raison de 9 fois par semaine durant l’année. Maintenant j’ai coupé mon volume d’entraînement quasiment en 4 : je fais à peu près 1.000 à 1.500m par pratique mais j’ai vraiment augmenté ma préparation physique à l’extérieur de la piscine. Donc plus de temps à passer à la salle de musculation, beaucoup d’exercices de mobilité, l’extra je vais en faire mais je travaille vraiment sur la qualité que sur la quantité.
« Je suis un peu comme un pilote de course de Formule 1, avec derrière toute l’équipe des ingénieurs qui fait à peu près les 99% du travail. Moi je suis juste là pour montrer ce que l’équipe est capable de faire. »
Quelles sont les parties clés de ton entraînement physique que tu juges essentielles pour te préparer aux compétitions de natation de haut niveau ? C’est primordial d’être entouré par une équipe qui te supporte à 100%. Pour moi, je suis un peu comme un pilote de course de Formule 1, avec derrière toute l’équipe des ingénieurs qui fait à peu près les 99% du travail. Moi je suis juste là pour montrer ce que l’équipe est capable de faire. Un bon entraîneur de natation, un bon préparateur physique, je travaille aussi beaucoup avec un professionnel en chiropraxie au Canada, c’est d’ailleurs lui qui m’a maintenu en bonne santé corporelle ces dernières années, un bon nutritionniste, un médecin sportif, on est une équipe complète qui fait en sorte qu’une performance peut être optimisée.
Comment as-tu adapté ton programme d’entraînement en fonction des différents cycles de préparation (pré-saison, intensification avant les Jeux, récupération) ? Mes cycles d’entraînement ont été un peu différents dans ces dernières années parce que mon niveau pour aller en intensification à beaucoup changé. Donc beaucoup plus de qualité, beaucoup moins de quantité. Par contre, je vais vraiment avoir 2 vitesses à l’entraînement : pour faire de la technique, des drills, de l’éducatif pour améliorer ma technique ; ou la vitesse maximale donc moi quand je fais un effort en piscine il faut absolument que je sois à 100% sinon on ne va pas chercher les effets escomptés. Puis quand vient une compétition importante, c’est la période d’affûtage qui est très importante pour moi avec beaucoup de repos, encore l’optimisation de la qualité et puis augmenter les temps de repos entre les différents efforts.
« C’est un peu ironique comment je suis arrivé à faire de la natation, parce que moi je voulais être joueur de Golf. »
En dehors des sessions de natation, quelles autres activités physiques pratiques-tu ? C’est un peu ironique comment je suis arrivé à faire de la natation, parce que moi je voulais être un joueur de Golf comme mes parents, je ne voulais rien savoir de la natation. Puis finalement c’est ce sport paralympique et l’autonomie que ce sport me donnait qui m’a gardé dans la piscine. J’essaie de jouer au Golf quelque fois dans l’année, depuis mon retour des Jeux j’ai joué plusieurs fois et je me rends compte que c’est quelque chose qui me manquait beaucoup durant ma saison mais il y a des choix à faire aussi pour se préserver de son intégrité corporelle et que je ne me blesse pas avant les Jeux.
La prévention des blessures est cruciale dans la carrière d’un athlète de haut niveau. Comment gères-tu cet aspect dans ta préparation physique ? Je vais avoir plusieurs professionnels : massothérapeute, physio, chiro, préparateur physique et ensemble on se fait un plan intégré basé plus sur la prévention que sur la réparation de blessure. A chaque semaine, je vais travailler avec mon chiro et mon préparateur physique pour renforcer ce que j’ai besoin de renforcer pour une meilleure performance. Dans mon cas spécifique j’avais beaucoup de difficulté à engager mes ischios de la bonne façon, et puis en salle de musculation on n’était pas capable d’aller chercher un mouvement qui était adéquat pour mes ischios et mon bas du dos. C’était rétablir mes patrons neuromusculaires (ndlr : rétablir la coordination et la synergie musculaire) pour m’assurer que mon corps performe le mieux possible.
Quelles techniques utilises-tu pour te préparer psychologiquement avant une grande compétition ? Pour moi c’est la visualisation. Je m’imagine derrière des blocs, je m’imagine compétitionner, je m’imagine dans l’eau pendant ma course. Quand je suis à l’arrière des blocs, je sais déjà ce que je vais faire comme performance, je compte le nombre de coups de bras dans ma tête, je sais quand je vais toucher au mur, je me concentre vraiment sur moi et sur ce que je suis capable de faire.
Est-ce que tu travailles avec un coach mental ou un psychologue du sport pour t’aider à rester concentré et gérer la pression ? J’ai travaillé dans le passé avec un coach mental et je pense qu’au fil des années j’ai réussi à développer plusieurs outils surtout sur la gestion du stress, la gestion de la peur avant la compétition et l’incertitude. Et finalement aujourd’hui c’est devenu une de mes grandes forces, je pense que c’est vraiment grâce à ça que j’ai réussi à aller aussi loin dans ma carrière d’athlète. Si ça je ne l’avais pas, c’est sûr que je travaillerai encore avec un psychologue sportif. Aujourd’hui ce n’est plus un besoin que j’ai spécifiquement.
« J’ai réussi mes examens en même temps que ma préparation pour les Jeux, je suis encore plus fier de ça que de mes performances sportives de cet été. C’est important d’avoir autre chose qui nous raccroche et qui nous reste motivé. »
Après une contre-performance ou une déception en compétition, quelle est ta stratégie pour rebondir et retrouver la confiance ? Il y a une phase de contrôle importante à faire après, que ça aille bien ou moins bien, c’est important de comprendre le pourquoi derrière une performance. A Paris j’ai été un peu déçu de ma performance, puis après ça j’ai fait une phase de contrôle : qu’est-ce qui a bien été durant la journée, durant la semaine, durant le mois, durant l’année précédente, qui a fait cette performance ? Cette journée là, mon engagement musculaire n’était pas bon. J’en avais discuté avec mes préparateurs. Mon départ, que ça soit durant les préliminaires (ndrl les séries de qualifications) ou en finale, n’était pas au niveau. Donc avec cette phase de contrôle, on sait quoi améliorer et on se fait un plan d’actions. C’est ma méthode, accepter que ça ne peut pas toujours bien aller.
Autre chose aussi, c’est d’avoir plusieurs objectifs différents. Pour moi c’était important, d’avoir mes études de terminées. Donc là j’ai mon Baccalauréat (ndrl Bac+3) en services financiers ici au Canda, donc je suis officiellement planificateur financier. J’ai réussi mes examens en même temps que ma préparation pour les Jeux. Je suis encore plus fier de ça que mes performances sportives de cet été. C’est important d’avoir autre chose qui nous raccroche et qui nous reste motivé.
« Pour moi c’est 90% mental et 10% physique ! Si ça ne passe pas dans la tête, il n’y a rien qui va passer physiquement. »
Selon toi, quelle est la part de l’aspect mental par rapport à l’aspect physique dans une performance réussie ? Comment équilibrer ces deux dimensions dans ta préparation ? Pour moi c’est 90% mental et 10% physique ! Si ça ne passe pas dans la tête, il n’y a rien qui va passer physiquement. Et je pense que c’est pareil dans l’entrainement, dans le sens où si on n’a pas la discipline pour s’amener à faire l’entrainement comme on doit le faire comme un athlète d’élite, ça va être difficile d’aller chercher la performance que l’on veut. Pour moi j’ai toujours cru en la discipline, plus que la motivation. Il y a combien de matins où il n’y a pas de motivation, mais c’est cette capacité mentale là, la discipline qui nous emmène.
« La règle #1 c’est de croire en soi »
Quel conseil donnerais-tu aux athlètes en devenir pour bien se préparer à affronter des compétitions d’envergure comme les Jeux paralympiques ? Je pense que la règle #1 c’est de croire en soi, croire en ses aptitudes, croire en ce qu’on peut faire. Pour moi, si tu es un athlète, un jeune en confiance derrière les blocs, un jeune qui sait qu’il a fait le travail, qui a sacrifié beaucoup, que ça aille bien ou que ça aille moins bien, je pense qui peut trouver une satisfaction, intrinsèquement mais pas avec la gloire ou avec des médailles, le trophée. Pour moi c’est important de viser le dépassement de soi même, de tout le temps s’améliorer, c’est comme ça que l’on gravit les plus grandes marches de podium.
Quelle a été ta plus grande source de motivation tout au long de ta carrière ? J’ai eu la chance d’être entouré d’excellents entraineurs dont Kévin, de coéquipiers qui m’ont soutenu à me dépasser dans toutes les phases de ma carrière donc je pense qu’à chaque étape, même chaque année ou à chaque jour, juste avoir des coéquipiers qui sont là et qui ont des objectifs similaires aux tiens, qui ont les mêmes hauts et les mêmes bas que toi, ça fait en sorte que ta carrière est plus concrète et tu vis tes émotions, tu partages avec d’autres personnes et ça c’est important.
« Se fixer des objectifs pour soi-même au lieu de viser la performance en tant que telle. »
Quel message aimerais-tu adresser aux jeunes athlètes qui te voient comme une source d’inspiration ? C’est de croire en soi et se fixer des objectifs pour soi-même au lieu de viser la performance en tant que telle. Donc la le dépassement de soi-même trouver les petites choses techniques qu’on peut faire à tous les jours pour s’améliorer, en petite phrase pour moi c’est beaucoup plus important que n’importe quel podium que j’ai fait. Même maintenant à 27 ans j’essaie encore aujourd’hui de faire des performances de ma vie même si mon corps est plus fatigué qu’avant c’est quand même l’objectif qui motive à continuer vont il avenir.
Comment vois-tu l’avenir de la natation paralympique, notamment au Canada ? Quels changements aimerais-tu voir dans le sport ? C’est une très bonne question. En ce moment y a beaucoup d’emphase sur les différentes catégories d’athlètes en fonction du handicap, qu’il soit physique, visuel ou intellectuel. Je pense qu’un jour il va y avoir un système de pointage où toutes les catégories vont être comparées les unes avec les autres et il y aura un ajustement qui sera fait en fonction de l’importance de l’handicap. C’est déjà comme ça dans plusieurs coupes du monde et cela rend la compétition beaucoup plus intéressante, autant pour les athlètes que pour les spectateurs. Ça amène chaque athlète à se dépasser soi-même d’une façon qu’on n’a pas nécessairement tout le temps dans le système paralympique actuel. Moi c’est ma perception, il a plusieurs athlètes qui seraient probablement en désaccord avec moi parce qu’il y en a justement qui aiment comparer les pommes avec des pommes mais si tu veux vraiment un sport inclusif et avoir le plus de personnes possibles je pense que c’est un mal nécessaire pour se rendre à cet objectif là.
Quels sont tes objectifs personnels et sportifs pour les prochaines années ? Comme je l’ai mentionné, mes études sont terminées je suis officiellement planificateur financier donc maintenant mon objectif c’est d’entrer sur le marché du travail. Probablement continuer à m’entraîner jusqu’au championnat du monde de cet été. Après continuer pour me rendre aux Jeux de Los Angeles en 2028, ça reste à voir.
As-tu des rêves ou des projets en dehors de la compétition sportive que tu souhaites réaliser à l’avenir ? J’aimerai redonner et apporter ma contribution à la communauté sportive du Québec et du Canada, avec une approche plus philanthropique. A mon avis, notre système sportif connaît des inefficacités dans l’allocation et l’optimisation des ressources pour donner le potentiel à tous les jeunes d’accéder au sport. Donc avoir comme objectif d’inclure le plus de jeunes pour qu’ils aient un mode de vie actif, cela me tient particulièrement à cœur. Je suis convaincu qu’il y a beaucoup de choses qu’on peut faire dans les prochaines années pour y parvenir.
Fais-tu attention à ta nutrition dans ta préparation ? Quand j’étais jeune et que je faisais plus d’épreuves, plus de distances, plus de volumes d’entrainement, c’est sûr que je ne prêtais pas autant attention à ce que je mangeais. Je regardais le nombre de calories pour ne pas perdre de poids mais la qualité de la nourriture était beaucoup moins importante qu’aujourd’hui. Maintenant que je fais peu de nages et que je focus que sur une épreuve, la nutrition est devenue beaucoup plus importante. Je suis suivi en nutrition aussi, je m’assure d’avoir des nutriments de qualité, pas de diet spécifique mais une base variée où on limite les matières grasses et le sucre raffiné et on essaie d’avoir de bons ingrédients, frais, de qualité en bonne quantité.